Par Laure Marchal – Les Pros de la petite enfance – avril 2018
En 2016, une idée germe dans les bureaux de « Rigolo Comme La Vie ». « Et si on ouvrait une crèche différente, entièrement ouverte aux parents ? ». Un projet ambitieux que rejoint Charlotte, aujourd’hui directrice de la crèche Rigolo Comme La Vie – Horace Vernet à Roubaix.
Tout a commencé par une crèche RCLV implantée juste à côté d’une entreprise. Des salariés, dont les enfants étaient gardés dans cette structure, ont commencé par avoir envie de venir voir leur bébé sur le temps du déjeuner. Pourquoi le leur refuser ? « Le passage des parents dans cette crèche a débuté grâce aux mamans allaitantes qui avaient dit aux équipes : je me suis arrangée avec mon employeur, quand il a faim, vous m’appelez, et je suis là deux minutes plus tard », raconte Charlotte. Mais pourquoi réserver un tel privilège uniquement aux bébés allaités ? Une réflexion s’entame. Puis l’idée de créer une crèche ouverte aux parents germe définitivement. Et c’est ainsi que la crèche Rigolo Comme La Vie – Horace Vernet voit le jour en avril 2017.
« Nous sommes partis d’un questionnement : comment ne pas être une simple structure d’accueil ? Et la réponse a été simple : en faisant entrer les parents dans la crèche », détaille la directrice. Ainsi, les parents peuvent venir quand ils le souhaitent voir leur enfant. Le plus souvent, ils viennent le midi. Ils avalent rapidement un sandwich pour rester le plus longtemps possible avec leur petit. « Cela permet de les déculpabiliser, » analyse Charlotte. Cela permet aussi aux parents dont les enfants débutent la diversification le week-end de poursuivre la semaine… Au moins quelque temps. On pourrait alors penser que toutes ces allées et venues perturbent les enfants. Mais pas le moins du monde ! Ils sont habitués à ce joli ballet et s’exclament « Tiens voilà le papa d’Elise, la maman de Robin. » Créer deux séparations dans la journée, ce n’est pas trop compliqué ? « On aurait pu penser que ce serait difficile mais en réalité, cela facilite la notion de séparation. Et pour ceux qui ont du mal à quitter leurs parents, on entame une discussion au cas par cas avec la famille. Puis on en parle en équipe pour savoir s’il est judicieux que le parent repasse dans la journée ou pas » tempère-t-elle.
Côté enfants, pas de doute, beaucoup de bénéfices. Et côté pros alors ?
« Il faut que les équipes soient complètement d’accord avec le projet pour qu’il fonctionne » insiste la directrice. Heureusement, c’est le cas de tous les professionnels de cette crèche. Car le fait d’être observé par les parents pourrait être gênant. Mais en réalité, tout le monde le vit très bien. « On en a beaucoup parlé en équipe, et cela nous a permis de nous sentir pleinement à l’aise. Nous avons évoqué nos éventuelles peurs, comme celle d’être jugés par exemple, mais elles sont vite tombées », détaille Charlotte. Car en réalité, le fait que les parents les voient dans leur quotidien est extrêmement positif. Cela renforce le lien avec les familles d’une part, et réaffirme la posture de professionnel de la petite enfance des équipes d’autre part. « La venue des parents dans la crèche nous a permis de montrer le sens de nos actions. Nous leur expliquons pourquoi nous avons décidé de mettre au programme telle activité plutôt qu’une autre. Ils se rendent compte que nous ne sommes pas là pour « faire », mais que tout est réfléchi », poursuit Charlotte.
De la même façon, voir les professionnels en situation a permis de mener la vie dure à certains clichés. Les parents ont réalisé que les stéréotypes du genre « Ils sont assis toute la journée », « Ils ne font que jouer » sont complètement faux. Enfin, de riches échanges ont lieu entre les pros et les parents : du simple questionnement à la demande de conseils, le dialogue s’engage pour le plaisir de tous. Ce qui permet, dans certains cas, d’aborder des situations délicates plus facilement.
Mais l’ouverture aux parents n’était pas suffisante. L’équipe est allée encore plus loin en ouvrant la crèche aux enfants en quelque sorte et en supprimant les sections. « Nous sommes repartis d’une valeur chère à Rigolo Comme La Vie : « vivre et grandir ensemble », explique Charlotte. Et nous l’avons prise au mot. » Une question taraudait en effet Charlotte quand elle exerçait dans d’autres crèches : pourquoi deux enfants d’une même fratrie ne pourraient-ils pas passer la journée ensemble ? Il y a quelque chose d’absurde dans le fait de segmenter les âges. A la maison, les enfants jouent ensemble. Alors pourquoi pas à la crèche ? Chez Rigolo Comme La Vie – Horace Vernet, il n’y a donc pas de section. Les enfants sont tous ensemble pour leur plus grand bonheur ! « Les interactions entre les grands et les petits sont riches ! » s’exclame-t-elle. Les plus grands apprennent par exemple la douceur des gestes envers les plus petits. Ils découvrent l’empathie. Il n’est pas rare d’en voir tenter de consoler un bébé, lui amener son doudou ou encore lui remettre sa tétine. Les petits, quant à eux, regardent leurs aînés avec l’envie de se déplacer comme eux, de parler comme eux. Et font des progrès considérables. « Parfois, on s’étonne de voir un petit qui se déplace à peine jouer avec un train par exemple », explique- t-elle. Une situation rendue possible grâce au décloisonnement des sections.
C’est vrai qu’il règne une atmosphère des plus agréables dans cette crèche. Les enfants sont tout sourire et vaquent à leurs occupations. Pour Charlotte, la clé du succès réside dans l’aménagement de la crèche. « Il faut pouvoir tout proposer à toutes les tranches d’âges : avoir des espaces de jeux symboliques, de jeux libres, des espaces moteurs… C’est ce qui permet de garantir une sérénité dans la crèche. Chaque enfant peut ainsi se rendre là où bon lui semble », précise la directrice. « Il faut aussi ajouter un coin spécifique pour les plus petits. Les plus grands ont en effet des besoins moteurs et pour des questions de sécurité, il est préférable d’isoler les plus petits. Mais pas en les mettant dans une pièce à part ! Nous avons des petites barrières ajourées qui permettent à la fois de les protéger des gestes brusques des plus grands et à la fois de participer à la vie de la crèche » poursuit-elle.
Autre point essentiel : la posture de « phare » des professionnels. « Nous avions tendance à nous regrouper à deux ou trois et à parler. Nous étions alors cernés par un attroupement d’enfants. Les plus grands pleuraient, il y avait de l’agitation, ce n’était pas serein. Alors Jérémy, notre EJE, nous a proposé de repartir de la posture de « phare », comme l’appelle Anne-Marie Fontaine (psychologue et formatrice petite enfance). » Les pros se sont donc répartis dans la structure, chacun dans un espace de vie. Et ça a tout changé ! Une ambiance apaisée, des enfants qui se dirigent vers un professionnel puis un autre, une nouvelle circulation dans l’espace. Un succès !